Education guinéenne : La grande malade à guérir
L’école guinéenne est malade ; on peut le dire sans choquer les gens. C’est l’avis du professeur Amadou Bano Barry, sociologue, enseignant-chercheur et membre de la commission récemment mise en place pour réfléchir sur le système éducatif guinéen. Selon lui la commission dont il est membre est sensé faire deux activités majeures : diagnostiquer le système éducatif dans toutes ses composantes par palier, par thème et sur l’ensemble des paramètres, de façon horizontale et verticale et proposer des mesures de remédiation qui doivent rentrer immédiatement en vigueur et des mesures à moins et à long termes.
Les symptômes
Professeur Bano Barry pense que l’école guinéenne fait tout sauf ce qu’on attend d’elle. « On va à l’école pour apprendre, connaitre, avoir de savoir, du savoir-vivre et du savoir être. Mais la finalité de l’école, c’est de créer de la richesse nationale, c’est d’accéder à un emploi ou de d’en créer. Ce n’est pas le cas », dit-il. Il indique 65 % des diplômés de l’enseignement supérieurs sont dans une situation de chômage, alors que 46 % des diplômés de l’enseignement technique et de la formation professionnelle chôment. Voilà des indicateurs les plus évidents, déclare le professeur. Et de renchérir qu’une « école qui ne produit que de compétences pour les insérer sur le marché de l’emploi ou qui ne les aide pas à créer leur propre emploi est une école malade. » Le jeune guinéen traine des lacunes, explique-t-il, qu’on peut sentir aussi bien à l’oral qu’à l’écrit.
Pourtant, soutient-il, l’Etat engloutit beaucoup d’argent dans ce système moribond peu ou pas rentable. Le problème n’est pas lié qu’à la faiblesse de système, c’est aussi l’impossibilité pour la Guinée d’atteindre les ODD, c’est-à-dire l’éducation universelle. Le sociologue n’est pas contre les montants décaissés pour financer les bourses d’entretien à l’université, mais lui, sa priorité aurait été l’éducation de base. « Ce n’est pas moi qui l’ai dit c’est la loi d’orientation sur l’éducation guinéenne qui a dit que l’Etat a l’obligation d’assurer l’éducation de qualité pour tous les enfants de 6 à 16 ans. Malheureusement, ce n’est pas acquis »
Le professeur voit le système éducatif comme une échelle dont les marches, interdépendantes, doivent avoir la même solidité de la base au sommet. C’est pourquoi, ajoute-t-il, avoir une éducation de qualité implique la création d’une école maternelle accessible à tous les enfants. Selon lui, tout Conakry ne compte que deux écoles maternelles publiques pendant qu’il y a 1 500 écoles maternelles privées. « Cela veut dire que les enfants dont les parents n’ont pas les moyens ne peuvent pas faire la maternelle. Alors la maternelle est un lieu d’apprentissage indispensable où on socialise l’enfant et le prépare à s’adapter à l’environnement scolaire. » L’autre hic, c’est que les enfants vont du primaire au collège sans maîtriser les instruments d’apprentissage : lecture et écriture. Et cela n’est pas sans conséquence : « Les effets de la non maîtrise de l’élémentaire se répercutent au collège, se répercutent au lycée, à l’université et toute la vie durant. » Même que c’est généralement « ceux qui ont raté leur formation qui se retrouvent dans les classes pour transmettre leurs lacunes aux enfants. » D’où la nécessité de revoir la politique de formation des formateurs, de réaménager les ENI mais aussi l’ISSEG. « Le changement ne fera pas comme une baguette magique, il faudrait repenser tout le système et mettre les moyens à disposition. C’est obligatoire, parce qu’un pays ne s’enrichit pas par son sol ou son sous-sol, il s’enrichit de ses enfants et de leur niveau de qualification.
Quid du LMD ?
Le système LMD est un système éducatif mondialisé dont aucun pays ne peut évoluer en dehors, étant le référentiel universel qui s’est imposé à tout le monde. Il a été évalué deux fois en Guinée : la première évaluation a été financée par l’UNESCO, la deuxième par le gouvernement guinéen. Les deux rapports existent. Mais le LMD veut dire que l’enfant qui a son baccalauréat a le pré requis nécessaire. C’est-à-dire qu’il a appris à lire, à écrire et à compter, mais aussi qu’il a appris à apprendre. Malheureusement, le système éducatif guinéen est un système scolastique dont la force est la récitation et non la réflexion. « Le LMD suppose que l’étudiant soit comme une femme qui prend ici et là ses condiments qu’elle transforme pour faire sa sauce. Hélas ! En Guinée, on a des gens qui savent manger mais qui ne savent pas faire la cuisine. » Le système LMD se heurte également à la qualité de ressource humaine ainsi qu’à la documentation. On pouvait compter sur l’évolution technologique pour résoudre le problème de documentation, sauf que les TIC étaient accessibles à tous. Peu d’étudiants ont accès à l’internet et la majorité d’entre eux passent leur temps à liker des posts sur facebook. Et de conclure que les effectifs à l’université aussi ne permettent pas une pédagogie active vers l’étudiant.