Face à l’apocalypse, quelle presse ?
Les images dramatiques du monde affluent de partout : Le nombre de décès du COVID19 se comptait par million ; Les mouvements de migration vident certaines villes et causent de sérieux problèmes d’intégrations à d’autres ; Le réchauffement climatique menace le vivant par ses multiples conséquences. Et les rapports scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, 2021) le souligne : « si nous ne changeons rien, l’humanité n’existera plus en tant qu’espèce en 2050 ».
De telles réalités imposent un changement des modes de vie, des institutions, et leurs fonctions. Indispensable au système démocratique, la presse qui montre les faits au public est sans doute la première consternée par ce changement. « Il est avéré que c’est l’absence de démocratie qui freine le développement, que la liberté de la presse n’en est pas l’ennemie, mais qu’elle en est souvent la condition même et que le journalisme pluraliste en est le bras armée, armée de ses exigences de vérité, de ses fonctions sociales de contrôle ou d’alerte au service du publique » écrit Loïc HERVOUET dans l’éditorial paru dans la revue « les cahiers du journalisme » publiée en 2001.
Mais Face à la gravité des problèmes auxquels l’humanité est confrontée, quels impacts la presse produit – elle en ne montrant que les problèmes, les disfonctionnements et catastrophes ? Peut-elle se contenter de contrôler l’action politique ou de révéler les défaillances du système alors que les menaces globales sont de plus de plus pressantes ? Quelles approches du journalisme pour informer les citoyens du moment où le monde entier s’est engagé à atteindre les 17 objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030 ?
On a toujours considéré que le journalisme objectif pose les assises de la confiance publique dont la presse a besoin pour bien jouer son double rôle, celui notamment de représenter l’opinion publique et de contrôler l’action et les décisions étatiques pour en prévenir les dérives et, le cas échéant, en dénoncer les abus. Si la presse joue plus ou moins bien ce rôle, la défiance à son égard que révèles certaines études, montre qu’en plus de l’objectivité qui est fondamentale, cette confiance dépend, de nos jours, de la méthode de traitement de l’information voir de la ligne éditoriale par laquelle l’information est proposée au public.
En Guinée, le réseau de recherche Afrobaromètre qui mène des enquêtes d’opinion publique sur la démocratie, la gouvernance, les conditions économiques en Afrique, mentionne dans son rapport de 2019 que les médias traditionnels – radio, télévision, et presse écrite – ont vécu une baisse de leurs audiences régulières entre 2013 et 2017, tandis que l’Internet et les médias sociaux profitent d’une nette progression. Selon cette enquête, La radio est la source privilégiée des guinéens pour s’informer. Comme pour donner une idée de la confiance du public selon la ligne éditoriale, ce même rapport indique que « les radios rurales constituent la source la plus populaire des nouvelles en Guinée (citée par 32% des répondants), suivi de la radio privée urbaine Espace FM (15%). » si ce chiffre peut paraitre faible pour une radio urbaine, il n’en reste pas moins que les émissions de la radio Espace, les Grandes Gueules notamment, font un grand succès dans l’espace médiatique guinéenne. Et la plupart des médias du pays essaye tant bien que mal d’imiter ses programmes ou de suivre sa ligne éditoriale.
Au regard de cette tendance on pourrait s’interroger sur la pertinence du journalisme d’opinion qui domine l’espace médiatique guinéen. Bien qu’il est joué un rôle important dans le processus de libéralisation de la presse, son impact sur la gouvernance mérite d’être interrogé. Depuis la libéralisation des ondes il y a quinze ans, cette prédominance du journalisme d’opinion a –t – elle permis à la Guinée d’évoluer en matière de gouvernance ? Malgré le dynamisme politico-médiatique que le pays a connu ces quinze dernières années, le contexte politique actuelle ne permet pas de répondre à cette question à l’affirmative. Car les institutions du pays déjà fragiles et la société toute entière vacille encore dans les mains d’une junte militaire pour la troisième fois en un demi-siècle ;« l’élite a échouer, l’Etat est à refonder » disait le Général Mamadi Doumbouya ; Un conseil national de la transition (CNT)déjà décrié est chargé de rédiger’« extrait de naissance » de cette nation vieille de plus de soixante ans. En fait, le journalisme d’opinion est dans l’ADN de la Guinée. Il lui a permis de gagner le combat de la décolonisation Comme le mentionne Mamadou Dindé Diallo dans sa thèse de doctorat sur l’histoire de la presse en guinée : «En Guinée comme dans les autres colonies, la presse écrite est investie par les colonisés pour atteindre leurs objectifs prioritaires d’émancipation. En effet, dans le contexte colonial, la presse sert de relais à l’action des partis politiques et des mouvements syndicaux pour mobiliser la population dans la lutte pour l’éveil des consciences et pour l’indépendance nationale. »
L’espace médiatique de nos jours ressemble donc à celui de cette période coloniale avec pour nouveauté la radio, la télé et l’internet comme moyen de publication ou de diffusion. Sauf que le contexte a bien changé : aujourd’hui il n’y a pas de colon à combattre, mais des objectifs de développent à réaliser pour le bien du citoyen, de l’humanité et du vivant.
Le journalisme de solution comme solution à la défiance de la presse et au problèmes de sociétés
Selon une étude quasi-expérimentale menée par le Solutions
Journalism Network et l’Engaging News Project, « beaucoup de journalistes présentent d’une façon irréfutable les problèmes du monde. Mais ils omettent de souligner et d’expliquer des réponses qui éclaircissent le potentiel d’atténuation ou de résolution des problèmes, même lorsque des initiatives prouvent leur efficacité. » Il en résulte que les lecteurs sont beaucoup plus conscients des échecs de la société que des tentatives de l’améliorer. Le rapport de cette étude souligne que ce qui manque dans la majorité des sujets régulièrement couverts« n’est pas la conscience des problèmes mais la conscience des efforts possibles et crédibles pour les résoudre. Gilles VANDERPOOTEN, journaliste et Directeur de l’association Reporter d’Espoir fait le même diagnostic dans ses multiples interventions dans les médias en faveur d’une nouvelle approche du journalisme qui intègre les solutions dans le traitement médiatique des problèmes de sociétés. Il constate que depuis des décennies les médias dits d’information générale « passent leur temps à relever ce qui ne va pas, à pointer les problèmes et à chercher la polémique. » la formule est simple : « parler des trains qui n’arrivent pas à l’heure, plutôt que ceux qui arrivent en avance ». De cette omission des « bonne nouvelles », il en résulte que beaucoup de gens se sentent accablés et qu’ils croient futiles leurs efforts d’engagement civique.
Dans son mémoire de master, Mario PECOT présente des résultats d’études qui illustrent par exemple le cas français : le baromètre de confiance des Français dans les médias Publié en janvier 2020 précise que l’intérêt des Français pour l’information atteint son plus bas niveau historique. « Jamais autant de personnes interrogées (41 % ; + 8 points sur un an) n’avaient assumé le fait de s’intéresser assez faiblement ou très faiblement aux nouvelles ». Un autre chiffre encore plus parlant : 71% des français n’auraient pas le sentiment que les médias rendent « mieux et davantage compte » de leurs préoccupations. Entre autres, de plus en plus de français délaissent l’information car ils ne s’y sentent pas représentés, ou concernés.
Face au pessimisme et à la résignation d’une partie des citoyens envers l’actualité, les journalistes sont appelles à, non seulement redéfinir leur rôle dans la société, mais aussi adapter les méthodes de traitement en rééquilibrant le positif et le négatif de l’information de masse. C’est dans ce contexte qu’est né le journalisme de solution.
Cette notion de journalisme de solutions, aussi connu dans le vocabulaire professionnel comme « journalisme constructif » ou « SoJo », est apparue aux Etats-Unis dès la fin des années 1990. Il s’agit d’une forme de journalisme explicatif susceptible d’accomplir un rôle de vigie, en mettant en exergue des réponses effectives aux enjeux, afin de stimuler des réformes ou des changements dans les domaines ou des personnes ou organismes échouent à trouver des réponses pertinentes. A la différence des autres formes de journalisme plus traditionnelles, la solution cherche à capter l’attention de son lecteur pour l’inspirer, et le mobiliser face à des problématiques le concernant. Un mouvement visant à promouvoir cette approche journalistique s’élargie peu à peu vers l’espace francophone. Le Solutions Journalism Network est basé sur un réseau de plusieurs centaines de journalistes. Il a des adeptes un peu partout dans le monde. En France, Reporter d’Espoir est un acteur majeur du Sojo. Au Danemark, on reconnait les efforts de Ulrik Haagerup, fondateur du Constructive Institute. Cette dernière estime que le journalisme doit revenir à sa fonction de base : « aider la société à progresser ».
Cette tendance pour les solutions notamment chez les jeunes se confirme dans de nombreuses études comme cette enquête de laBBC selon laquelle “64% des participants de moins de 35 ans veulent que les médias apportent des solutions aux problèmes traités”.
En Afrique, bien que les problématiques au premier degré de la pratique du journalisme se pose encore, le journalisme de solution trouve quand même son chemin. On retrouve Stop BlaBla au Sénégal, une initiative qui s’inscrit en faveur de ce type de journalisme. Sa fondatrice, Aché Attimer Youm pense que : « C’est le moment d’aller au-delà du blabla factuel, de tous ces articles déprimants ou vides de sens. Et d’apporter de l’équilibre dans notre écosystème médiatique en mettant aussi en lumière les actions et les initiatives. ». Sa plateforme propose aux médias africains de partager leurs reportages solutions autour d’une même thématique. Elle considère lesojo comme un moyen efficace de faire bouger les lignes sur le continent.« Avec le JoSo, nous avons tous les ingrédients pour interpeller nos décideurs par l’exemplarité, en montrant concrètement comment certains pays s’en sortent et comment l’adapter dans nos contextes. Il est temps d’arrêter de montrer du doigt les failles du système et de contribuer activement à son amélioration ».
Si, au premier abord, le sojo peut ressembler au plaidoyer ou à la communication, son cadre méthodologique exige plutôt un journalisme rigoureux qui demande du temps – car il n’est pas forcement axé sur l’actu chaude – et une bonne connaissance des questions liées aux enjeux sociétaux et environnementaux.
M.L. Bangoura pour guinee-info.com